mardi 4 novembre 2014

Mes années Canal !

A l'occasion de cet anniversaire des 30 ans de Canal+ ou j'entends beaucoup d'anciens de ses collaborateurs s'exprimer, je me suis dit que cela pouvait être l'occasion de revenir moi aussi sur mon propre passage aux Guignols pendant cette période dont beaucoup de téléspectateurs sont nostalgiques et qu'ils qualifient d'ailleurs comme étant les meilleures années de la chaîne cryptée 

Alors, voilà, si cela vous intéresse, je vais tout (ou presque...) vous raconter ! Je ne l'ai jamais fait auparavant parce que l'occasion ne s'était pas présentée et parce que je n'en avais pas non plus vraiment éprouvé le besoin. Aujourd'hui, c'est le contraire ! Les conditions sont réunies pour que je revienne sur cette période de ma vie professionnelle qui n'a pas été exactement celle que j'avais imaginée...

Au fond, si je devais résumer "mes années Canal", ce serait assez simple. J'écrirais que j'y suis entré sur un malentendu et que j’en suis parti pour la même raison... Voici donc... "mes années Canal !"

L'entrée...

Nous sommes à la fin des années 80, en août 1988 très exactement. Alors que j’avais écrit quelques mois plus tôt un scénario pour lequel j’avais mis à profit mes dons d’imitations afin "d’entendre" mes dialogues avec les voix de Gérard Jugnot et Michel Blanc, un ingénieur du son me contacta pour me demander si je pourrais imiter le célèbre moustachu du "Père Noël" pour une nouvelle émission de marionnettes qui serait diffusée sur Canal + et qui s’appellerait "Les Arènes de l’Info"... Il faut dire qu'au cours des années précédentes, je m’étais fait connaître de pas mal de studios en faisant des voix de pub, quelques doublages de films ou de dessins animés, une façon très agréable de gagner ma vie, puisqu’elle me permettait en même temps d’écrire et de faire bien d'autres choses.

Georges Châtelain, pour ne pas le nommer, qui avait donc son propre studio d'enregistrement m’expliqua que si la production de cette nouvelle émission avait prévu de caricaturer une vingtaine de personnalités dont Gérard Jugnot, elle rencontrait une difficulté, car l’imitateur déjà pressenti pour les imiter n’arrivait pas à prendre la voix haute perchée de l’acteur des Bronzés… 

Ce dernier ayant entre temps décliné mon offre de scénario (qui m'avait cependant fort bien servi d'entraînement vocal...), je me suis donc retrouvé aux côtés d’Yves Lecoq pour démarrer ce nouveau show qui allait devenir la concurrente largement brocardée de la locomotive du 20h de TF1, "Le bébête show"… Nous en ignorons alors tout ! Nous ne savions pas quand elle serait diffusée et nous ignorions, bien entendu, le phénomène de société qu’elle allait rapidement devenir… Pendant longtemps, je me suis donc contenté de faire répéter au double de latex de Jugnot une unique phrase "Et dire qu’on les paye pour faire ça !"… Cette activité aussi peu chronophage que fatigante me permit alors de m’atteler à l’écriture d’un nouveau scénario.

Lorsque "Les arènes de l’info" devinrent "Les Guignols de l’info" et qu’une nouvelle équipe d’auteurs succéda à la précédente, la production décida de créer un "Bar des Guignols" avec, en consommateur devant le comptoir le célébrissime syndicaliste Henri Krasucki et, derrière en serveur franchouillard toujours le même Jugnot. Les dialogues devaient être écrits par Jean-Marie Gouriot, l’auteur des célèbres "Brèves de comptoir". Mais pour ce petit module qui allait ouvrir chaque jour Nulle Part Ailleurs, il fallait aussi être là tous les jours à 17h pour les répétitions et vers 19h20 pour le direct… Krasucki fut donc "ma" deuxième marionnette et c’est ainsi que je me suis retrouvé tous les jours sur le plateau de NPA, l’émission phare de Canal. Présent au quotidien pour ce "bar", je le fus naturellement aussi pour la répétition des Guignols, passés eux aussi au direct.

Chaque jour donc, rue Olivier de Serre, je côtoyais Gildas en maître de cérémonie, De Caunes en chroniqueur aussi élégant qu’acide, Bonaldi en bonimenteur géo-trouve-tout ratant ses démonstrations, Alexandra Kazan en première miss météo raffinée, José Garcia en chauffeur de salle surexcité, Alain de Greef en directeur des programmes quasi-inaudible, mais cela n’avait aucune importance, puisque chacun était convaincu qu’il ne pouvait dire que des choses intéressantes et intelligentes ! L'ombre des Nuls planait encore dans le studio ce qui rajoutait encore à la magie du lieu. Bref, que du bonheur pour cet apprenti imitateur que j’étais en train de devenir, sans même m'en rendre compte ! Non pas que le don n’était pas là, je l'avais depuis mon enfance, mais je n’avais jamais imaginé en faire un métier, bien que j’eus déjà quelques propositions en ce sens. Seuls l'écriture et le cinéma me motivaient vraiment.

Si j’appris à connaître rapidement et à admirer tout le monde sur le plateau, à l’inverse, personne ne me connaissait vraiment, Yves Lecoq dont la notoriété n’était plus à faire, incarnant à lui seul les marionnettes devenue une véritable "émission dans l’émission". 

Au fil des émissions, de nouvelles personnalités vinrent enrichir régulièrement le panel des "Guignolisés" et les circonstances firent que, notamment par ma présence au quotidien, je comblais toujours un peu plus mon retard de voix sur celles que faisait mon confrère. Il y avait celles que je savais faire spontanément et que l'on me confiait après lui s'il ne les maîtrisaient pas vraiment, mais il y eut aussi celles que l’on me demanda de faire pour permettre de vrais dialogues entre les marionnettes.

C’est ainsi que quand Lecoq faisait Chirac (Le monsieur te demande...), je faisais Giscard, quand il faisait Foucault, je faisais Sabatier (Kilekon celui-là..!), quand il faisait Thierry Roland, je faisais Jean-Michel Larqué (Tout à fait Thierry!), quand il faisait Tapie, je faisais Mitterrand (Bécile, la mort !) et ainsi de suite… Au fil du temps, j’en suis donc arrivé à "incarner" vocalement les latex, plus d’une cinquantaine de personnages au moment de mon départ. Ce don pour imiter que j’avais toujours eu et qui ne m’avait servi jusque-là qu’à amuser en privé prit alors nettement le dessus sur mon talent d’auteur qui m’avait pourtant valu tout au long de ma scolarité d’excellentes appréciations de mes professeurs de français, puis plus tard de ceux de ma fac de Droit quand il s’agissait de commenter des jugements de tribunaux ou d’écrire quelques plaidoiries fictives.

Incontestablement, ce fut ma création de la voix infantile de Jean-Pierre Papin (dont j’ignorais totalement la voix naturelle…), ainsi que celle aussi virile que ronchonnante d'Eric Cantona qui me propulsèrent vers une carrière et une notoriété d’imitateur que je n’avais jamais souhaitées, au détriment d’une carrière d’auteur qui était pourtant ma seule vraie ambition de départ.

C’est ainsi que je suis devenu imitateur au sens professionnel du terme, sans vraiment en prendre conscience, aidé en cela par le succès grandissant de l’émission qui, à partir de 1991/92 devint un vrai phénomène de société. 

Cela n’empêche pas que je suis donc entré à Canal sur ce malentendu ! Alors que j'aurais logiquement dû intégrer l'équipe des auteurs, du moins telle aurait été mon ambition, c'est par un pur hasard que j'ai intégré celle des imitateurs ! 

Je tiens évidemment à préciser que j’en suis évidemment le seul responsable, puisque personne à Canal ne pouvait savoir que j’ambitionnais une autre carrière que celle pour laquelle on m’y avait embauché dès le début. J'avais bien fini par osé proposer quelques sketchs, certains on d’ailleurs été tournés et diffusés, mais on me fit rapidement comprendre que, pour le bon fonctionnement de cette grosse production, chacun devait rester à sa place. Ce fut frustrant, mais parfaitement compréhensible et je n’insistât pas davantage.

J’avais donc commencé à m’être fait un petit nom chez les imitateurs en même temps que Laurent Gerra ou Gérald Dahan qui débutaient eux aussi et ma place aux Guignols était très enviée. J’avais été invité dans des émissions de télévision importantes en prime-time (Drucker, Sébastien…) et j’avais également rejoint Laurent Ruquier sur France-Inter et Jacques Martin sur France 2, dans deux autres émissions cultes de la radio et de la télévision, "Rien à Cirer" et "Ainsi font, font..".  

Pour n’importe quel observateur extérieur, ma situation était donc extrêmement privilégiée. J’étais à Canal, à Inter, à France télé, je gagnais très bien ma vie et je commençais à être connu et reconnu. Pourtant, et même si cela peut peut-être choquer certains, ça n’est pas comme ça que j’ai personnellement vécu cette ascension médiatique et sociale assez rapide.

Voici pourquoi. Alors que "Les Guignols" battaient des records d’audience et de notoriété, l’ambiance au sein même de l’équipe n’était pas - pour moi, et cette précision a son importance - exactement celle que j'aurais aimée. Je n’entrerai pas ici dans des détails sur les "petits coups tordus" de la part d’une personne au sein de l'équipe que mon ascension médiatique commençait sérieusement à agacer. Le temps a passé et il y a d’autant plus prescription que je m’en fous complètement. Vingt ans plus tard, chacun a continué sa route, chacun est à sa place et je n’envie pas plus aujourd'hui la sienne que cette personne n’envie probablement la mienne. J'ajoute que nous nous sommes maintes fois croisés depuis, sans que cela ne pose le moindre problème.

Mais je peux malgré tout donner un exemple qui illustre le fait que je n’étais pas aussi heureux à Canal que mon statut pouvait le laisser supposer. Chaque année, nous partions en mai pour le Festival de Cannes. Chacun a en mémoire ces grands moments de télévision en direct sur la plage du Martinez… Cette ambiance de folie extraordinaire… De Caunes/Garcia, les arrivées de Stars en bateaux, le tapis rouge aux marches du Palais, etc… Eh bien, croyez-le ou pas… Moi, je ne me suis jamais autant ennuyé que pendant ces festivals !

La raison en était simple. Après le direct de NPA, à 20h30, tout le monde s’éparpillait. Mon confrère imitateur partait aussi sec pour Saint-Tropez vivre une vie qui n’était pas la mienne, les marionnettistes éloignés géographiquement de Cannes regagnaient leurs pénates et restaient entre eux, je suppose que les auteurs des Guignols faisaient de même cogitant déjà à leurs nouveaux sketchs, De Caunes/Gildas devaient préparer leur émission du lendemain et moi, je n’avais plus qu’à me commander une pizza et à remonter dans ma chambre du Martinez jusqu’au lendemain 17 heures, heure des répétitions ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, en quatre ou cinq festivals (je ne me souviens plus du nombre exact où je m’y suis rendu), pas une fois donc, je n’ai dîné ou je n’ai eu un vrai moment de convivialité avec un membre de l’équipe des Guignols ou de NPA, alors que je n'aurais demandé que cela ! 

Je n’incrimine évidemment personne, chacun vaquait à ses occupations et Dieu sait qu'il y en avait, car pour faire de la "bonne déconne" à l'antenne, contrairement aux idées reçues, c'était évidemment un boulot de dingue qu'il faut abattre en amont. Il n'empêche que c’est pourtant ainsi que moi j’ai vécu ces moments, certes inoubliables pour les téléspectateurs, un peu moins pour moi.

Pour tout vous dire, je m’ennuyais tellement à Cannes que c’est là que j’ai appris à piloter dans la journée… pour passer le temps ! Le problème, c’est que, avant ou après le Festival, c’était exactement la même chose tout au long de l’année. En dehors de l’émission, si la "Grande Famille de Canal" existait bien, je n’avais pas moi le sentiment d’en faire partie. Par timidité sans doute, je ne me suis jamais permis non plus d’essayer de forcer sa porte pour être invité à sa table.

Pour être honnête, je dois aussi avouer que ma vie personnelle et familiale était très compliquée pendant la période 1991/1993 et que, dans ce contexte euphorique du succès de NPA, je n’étais probablement pas le boute-en-train attendu. En fait, j’étais très mal dans ma peau, car sur un plan privé, j’étais en totale contradiction avec ce que je vivais sur le plan professionnel. 

En effet, savoir que j’allais faire rire des millions de gens en imitant un footballeur ou un animateur télé, alors que quelques minutes avant je m’inquiétais encore des conséquences de la chimio sur une personne chère à mon cœur, ma mère en l’occurrence, était une situation cruellement paradoxale et douloureuse. 

Ce furent deux ans et demi passés à comprendre et à accepter que j’allais irrémédiablement la perdre, à l’accompagner dans sa souffrance, à combattre l’inertie d’un père au comportement incompréhensible. Certes, nous sommes des millions d'êtres humains à connaître ou à avoir connu cette situation au cours de nos vies, je n’ai donc aucune raison de m’en plaindre plus que les autres. Il se trouve que, dans mon cas, elle est tombée au moment où j'évoluais dans un contexte euphorisant, galvanisant, au sein d'une émission qui était en train de devenir mythique. Il y avait donc une vraie contradiction entre cette ferveur "Guignolesque" et mon quotidien fortement préoccupé par des sujets douloureux et anxiogène que personne ne connaissait, puisque je n'en ai jamais parlé aux membres de l'équipe, y compris ce jeudi 15 avril 1993, jour où le crabe a fini par avoir le dessus sur l'auteure de mes jours.

Comme je l’ai écrit ci-dessus, si j’étais malgré tout en totale empathie et en admiration avec ces personnalités que je côtoyais au quotidien (De Caunes, Gildas, De Greef, Gaccio, Delépine, Lescure...) ou que j'allais voir dans leurs autres émissions (Lauby, Farruggia et Chabat dans "L'Emission"...) je n’eus vraiment jamais le sentiment que cela fut réciproque. Ils avaient sans aucun doute leurs raisons. Si Gainsbourg disait que la chanson était un art mineur, que devait-il penser alors de l’imitation et surtout de l’imitateur ? Je partage d’ailleurs ce point de vue. Le Luron a été le premier à sortir l’imitation des Cabarets, mais je ne pense pas que cela soit une carrière artistiquement très intéressante sur le long terme. En tous cas, c’est très très loin pour ce qui me concerne de l'intérêt que peuvent avoir l’écriture, y compris quand elle n'est qu'éphémère comme pour les Guignols, mais aussi la peinture, la musique, la sculpture, bref, tous ces arts "majeurs" si chers à l'auteur de la Javanaise.

Il faut dire que d’autres apparences que mon air taciturne essentiellement dû aux circonstances de ma vie privée jouèrent sûrement aussi contre moi au sein de Canal. "Jean-Eric", un prénom composé original assez segmentant, un physique plus proche de celui d’un fils de banquier que d’un artiste, un goût assez peu prononcé pour les fêtes tardives, un caractère plus introverti qu'extra, une vie somme toute assez rangée m’ont sans aucun doute fait assimiler à un fils de bourgeois, un fils à papa de droite, tombé davantage par hasard chez les saltimbanques de gauche que par véritable vocation artistique.

C’est ainsi que j’ai ressenti les choses. Encore une fois, je n’accuse, ni ne stigmatise personne. Tout cela ne peut être que de ma seule responsabilité, puisque je n’ai sans doute pas su faire ce qu’il fallait pour m’intégrer dans cette famille à laquelle je croyais dur comme fer. Cela n’empêche pourtant pas que je n’étais pas du tout celui que ses membres ont probablement cru que j’étais ! 

En effet, mes origines familiales sont plutôt modestes (famille d’enseignants du côté de ma mère, de militaires et de commerçants du coté de mon père), mes idées politiques n’ont jamais été incompatibles avec celles qui dominaient dans le showbiz en général et à Canal+ en particulier et je n’avais bénéficié d’aucun piston ou d’aucune aide pour être là où j’étais.

J’aurais sans doute pu tenter de rectifier le tir, de donner une image plus réelle de moi-même que celle qui était perçue, mais je ne l’ai pas fait, si ce n’est, comme je l'ai écrit ci-dessus, à cause d'une certaine timidité. J’ai en effet ressenti cela aussi, lorsque, invité aux "Grosses Têtes" de Philippe Bouvard, je me suis retrouvé en face de Jean Yanne que j’idolâtrais. Pétri d’admiration pour cet immense acteur (Le Boucher, Que la bête meurt...) et humoriste de génie (J'prends jamais les routes départementales, j'ai horreur des routes départementales !), j’étais subjugué et c’est probablement pour cela que ma prestation n’entrât pas dans les annales de la célèbre émission de RTL. En résumé, devant des gens que j'admirais, je perdais pas mal de mes moyens. Je parle à l'imparfait, car fort heureusement, j'ai évolué depuis !

C’est ainsi donc que je suis entré à Canal, par hasard et sur un malentendu. J’y ai pourtant passé sept années inoubliables et je pourrais probablement y être encore, si un autre malentendu n’avait pas conduit à ce que je quitte la chaîne.

La sortie...

Voici, en résumé, pourquoi et comment cela s'est produit. 

Au début de l’été 1995, Laurent Ruquier que j’avais rejoint depuis 2 ou 3 ans sur Inter, et qui ambitionnait de faire l’access de TF1, me demanda de le suivre sur TF1, alors "l'ennemie du PAF" de Canal. Je lui ai évidemment dit qu’il n’en était pas question, car j’étais "né" à Canal et que j’entendais bien y rester. 

Ruquier le compris fort bien et me demanda alors simplement de lui rendre le service - pour l’aider à convaincre TF1 - d’au moins participer aux tournages des pilotes de son émission. Bon camarade, j’acceptai sa demande, mais ce fût une terrible erreur de ma part ! En effet, sans que j’en sois averti et alors que je n’avais absolument rien signé d’autre que mon engagement à tourner des pilotes, TF1 accepta l’émission de Ruquier et se mit à diffuser des bandes annonces sur son antenne tirées des pilotes et au générique desquelles je figurais en bonne place ! Apprenant la nouvelle, le sang d’Alain de Greef ne fit qu’un tour, ce que je peux comprendre, et il me convoqua aussi sec pour me demander des explications.

Entre temps, Thierry Ardisson qui produisait l'émission de Ruquier me fit un "pont d'or" pour me convaincre de venir sur TF1. Parce que je veux être honnête et parce que surtout je n’ai aucune raison 20 ans plus tard de ne pas l’être, j’ajouterai que l’indélicatesse récurrente de mon partenaire de voix m’avait obligé à essayer de "corriger" sans cesse le déficit de notoriété qui était le mien par rapport à la sienne. Depuis le début du succès des Guignols, il écumait régulièrement les plateaux télé en imitant au mieux mes propres imitations de marionnettes, laissant croire ainsi qu'il les faisaient toutes. L'apothéose fut en 1992, lorsque dans un spectacle qu'il donna au Casino de Paris, il organisa de la même façon la mise en scène des Guignols qui exceptionnellement l'avaient accompagnés sur scène, alors qu'étaient diffusés dans la salle mes propres enregistrements de voix de Jean-Pierre Papin et Jean-Michel Larque, effectués sur bande ! Bref, tout cela n'était ni très généreux, ni très glorieux et avait finit par vraiment me taper sur le système. 

En l’occurrence, partir sur TF1 aurait alors pu me permettre de remettre les pendules à l'heure en étant visible sur la chaîne, ce qui n'était pas le cas à Canal, car à ce moment-là, je pensais encore continuer dans l’imitation. Néanmoins, une fois le "pour et le contre" pesés, je fis quand même le choix de rester aux Guignols où j’avais le sentiment d’avoir vu le jour artistiquement. D’autre part, je me sentais incomparablement beaucoup plus proche de la chaîne cryptée que de TF1 qui, depuis sa privatisation, incarnait un autre style de télévision qui n'était pas ma tasse de thé. Enfin, j’avais déjà participé à une émission de télévision avec Ruquier (la version télévisée de "Rien à Cirer" diffusée sur France 2) et je n’avais pas été convaincu de sa capacité à animer un acess-télé. Si l’histoire m’a donné raison sur le court terme, elle m'a évidemment tort sur le moyen et long terme, quand on voit la carrière qu'il mène depuis !

En fait, fort de la proposition d’Ardisson, ma seule demande pour rester à Canal fut donc un alignement de salaire sur celui de mon confrère, ce qui me paraissait justifié dans la mesure où j’étais moins payé que lui alors que nous faisions depuis 7 ans exactement le même boulot, avec les mêmes exigences de présences et que je faisais depuis longtemps déjà des voix de marionnettes aussi populaires que celles que lui faisaient et qui avaient certainement tout autant contribuées au succès global de l’émission. J'y voyais aussi une forme de soutien et de dédommagement sur l'humiliation qui m'avait été faite au Casino de Paris et dont je considérais la chaîne en partie responsable, puisqu'elle n'avait ni dicté, ni vérifié les conditions de la participation de ses marionnettes au spectacle.

Le surlendemain, c’est pourtant une fin de non-recevoir que m’adressa Alain de Greef. J'en fus très étonné, car je ne comprenais pas pourquoi la chaîne ne pouvait pas faire ce petit effort financier qui ne risquait certainement pas de déséquilibrer son budget et qui m'aurait apporté la satisfaction d'une reconnaissance après laquelle je courrais depuis un bon moment. Sur le moment, j'en ai donc conclut qu'il ne pouvait s'agir que d'une question de principe, d'une politique ou d'une logique d'entreprise que je ne comprenais pas bien, mais contre laquelle je ne pouvais évidemment pas lutter. 

Plus généralement, mon erreur fut aussi d'attendre un témoignage d'affection de la part d'une entreprise, car Canal était aussi et avant tout une entreprise. Mais il y avait eu tout au long de ces années une confusion dans mon esprit, et pas seulement dans le mien. Le public aussi pensait que Canal était une "machine à déconne permanente" dans laquelle on s'éclatait non-stop ! De l'intérieur, nous étions tellement persuadés d'être dans l'exceptionnel que nous en avions oublié que Canal était aussi une entreprise avec sa logique concurrentielle, son économie, son budget, ses besoins, ses impératifs de gestion, de management, etc, et qu'elle ne faisait pas plus ni moins de cadeaux qu'une autre. Ce n'était ni sa nature, ni sa vocation (sinon, elle aurait été une association ou une organisation humanitaire !). J'ai donc compris à ce moment-là que dans la vie professionnelle, nous ne sommes pas là pour être aimés ou pour aimer. Nous sommes là pour faire un boulot précis, pour être payés en retour et... basta ! 

C'est tellement vrai que mêmes les géniaux pères fondateurs de Canal+ sans qui elle n'aurait jamais été ce qu'elle fut, à savoir Rousselet, Lescure et de Greef, n'ont pas pu résister à la logique économique qui s'est abattue sur eux lorsqu'un prédateur ambitieux pointa le bout de son museau. L’entreprise n'est jamais reconnaissante, sauf lorsque cela sert ses intérêts. Au contraire même, si elle peut couper les têtes de ses créateurs, elle ne manque pas de le faire, histoire de faire oublier ses origines pour focaliser l'attention sur son présent. C'est sans doute injuste, mais c'est comme ça ! La seule façon d'y échapper, c'est de dominer l'entreprise et pour cela il faut détenir au minimum 51% des parts de son capital ! En l’occurrence, ce n'était le cas de personne...

Quoi qu'il en soit, cette décision de me laisser partir sur TF1 plutôt que de porter mon salaire à hauteur de celui de mon confrère me confirma ainsi ce que j’avais toujours subodoré. Puisqu’elle ne cherchait pas à me retenir, alors que ma demande pour rester n'était franchement pas "délirante", c’est donc bien que je ne faisais pas partie de la famille Canal et que, probablement, cette famille n'avait jamais existée que dans mon imaginaire. 

Le lendemain, c'est donc à regret que je signais le contrat de TF1 que Patrick Lelay avait signé avant moi et c'est dans ces conditions un peu rocambolesques que je me suis retrouvé propulsé malgré moi dans l’émission "Les Niouzes" qui eut le succès que l’on connaît ! Tout a donc basculé le temps d’un été sur un malentendu que je n’avais pas vu venir et c'est vrai aussi, sur une illusion un peu naïve de ma part. A ma décharge, je dirai que c'était aussi la première fois de ma vie que je travaillais régulièrement dans une entreprise, puisque, jusque-là, j'avais toujours été intermittent.

Une fois passées la surprise, l’inquiétude naturelle d'un avenir du coup plus incertain et la déception légitime de n’avoir pas été davantage désiré par ceux dont j'attendais un témoignage fort d'attachement, j’y ai pourtant vu un signe. Celui qu’il était temps que je retourne vers ce métier d’auteur que j’avais délaissé, happé par le succès, les revenus confortables et la notoriété que je commençais à avoir obtenue. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience que Faust m’avait insidieusement attiré dans ses filets... et qu'il était plus que temps de lui tourner le dos !

Du coup, me retrouver devant ma télé à l'heure des "Guignols" alors que j'aurais normalement dû être de l'autre côté de la lucarne, n'a pas été aussi douloureux que cela aurait logiquement pu l'être. Certes, ce fut au début assez étonnant, puisque je ne l'avais absolument pas envisagé avant que cela arrive, mais très rapidement je m'en suis fait une raison et je suis passé à autre chose. 

Quelques semaines plus tard pourtant, je reçus un appel inattendu de Canal qui voulait savoir si, finalement, l'émission de TF1 s'étant arrêtée, j’accepterais de revenir aux Guignols. Incontestablement, et même si personne n’est jamais irremplaçable, mon absence leur avait posé quelques problèmes de voix au redémarrage de l'émission en septembre. Les imitateurs créent effectivement une empreinte vocale propre à leurs caricatures et, même si c’est paradoxal, deux imitations ne se ressemblent pas forcément. "Mes Papin, Denisot, Larque, Fabius, Mitterrand, Giscard, etc. à moi", n’étaient plus tout à fait les mêmes et le public avait bien du s’en rendre compte. Là aussi, la logique de l'entreprise se rendant compte après coup que je lui étais plus utile qu'elle ne se l'était imaginée, a fait qu'elle n'a pas hésité à me demander de revenir.

Toutefois, outre le fait que j’étais lié encore par contrat à TF1, j’ai quand même préféré renoncer à cette proposition de retour, car j’avais eu le temps d’entrevoir nettement l’impasse dans laquelle je risquais alors de me retrouver, car, bien qu’imprévu, ce départ me fit réaliser qu'il serait plus salutaire pour moi de revenir à l’écriture. 

En effet, après quelques tentatives de spectacle sur scène, seul ou en duo, il ne m'avait fallu guère de temps pour réaliser que je n’étais pas un "showman", une "bête de scène" comme un Gerra ou un Bigard. Pour réussir dans cet exercice difficile et hautement concurrentiel du onemashow, il faut avoir cette passion chevillée au corps. Il faut accepter d’être toute l’année en tournée, sur la route, été comme hiver, de faire des galas, des émissions de télé ou de radio le plus souvent possible et, quelques fois aussi, des prestations encore moins glorieuses. Je savais que je n’avais pas ce talent-là, que je n’avais pas cette énergie-là, que je n'avais surtout pas cette envie-là, car pour moi, rien ne m’est jamais plus agréable que l'écriture au coin d’un feu de bois, avant et/ou après une longue ballade en forêt. Par ailleurs, ma compagne attendait notre premier enfant et je ne pouvais imaginer de ne pas être présent aux côtés de ce bébé qui allait entrer dans ma vie et dont je pressentais évidemment toute l'importance qu'il allait avoir pour moi.

J’étais donc subitement (re)devenu conscient de ce qu'étaient réellement mon désir et ma vraie nature et j'ai compris qu'un retour aux Guignols m’aurait alors condamné à persister dans une voie qui n’était pas la mienne. J'ai donc décliné cette offre généreuse qui venait de m'être faite par Canal et qui aurait pu facilement nous faire oublier mutuellement ce malentendu de l'été. 

Malheureusement, mon refus est probablement ce qui a contribué à ce que la chaîne croit à une vraie "trahison" de ma part, alors que ce n’était absolument pas le cas. Pour eux, être parti pouvait être excusable - la preuve, ils me demandaient de revenir - mais ne pas l'accepter l'était beaucoup moins. Je brûlais pourtant d’envie d’y retourner, car même si je l'ai confessé, il m'était arrivé parfois de m'ennuyer sur le plateau, les équipes, l'ambiance, l'émotion du direct, tout cela me manquaient quand même. J’avais cependant conscience de l’enfermement et de la contradiction dans lesquels ce retour allait me plonger. J'ai donc vu dans ce départ improvisé un signe du destin qu'il me fallait écouter et suivre. 

Je crois que l’avenir me donna raison, car si les Guignols existent depuis maintenant plus d’un quart de siècle et que j’aurais pu continuer à m’enrichir financièrement, je sais aussi, au regard de tout ce que j’ai pu faire par la suite, que je m’y serais considérablement appauvri sur d'autres plans. Je crois que je m'y serais encore plus ennuyé avec les départs de ceux que j'avais connus, De Caunes (parti la même année que moi), puis plus tard Gildas, de Greef, Lescure, etc. Je crois aussi que l’expropriation de la production des Guignols dans un studio anonyme et froid coupé du plateau de NPA ou de celui du Grand Journal, m'aurait aussi fortement déplue.

Pourtant, beaucoup de gens du métier ont cru que j’avais fait une "belle connerie " en quittant les Guignols. Si très peu parmi eux savent que j’aurais pu y retourner aussi vite que j’en étais parti comme je viens de l’expliquer ici, ils sont encore moins nombreux à connaître mon histoire telle que je la raconte aujourd'hui. Comme je viens de l’écrire aussi, j’en suis parti sur un malentendu et, pour moi, c’est davantage Canal qui m’a quitté que l’inverse. 

Il n’empêche que de mon point de vue, la véritable erreur, si erreur il devait y avoir eue, n’aurait pas été d’avoir arrêté les Guignols, mais de les avoir commencé. En effet, à la faveur d’un incontestable talent d’imitation, même si je ne la regrette pas, ma collaboration a cette émission m’a conduit pendant sept années dans une direction qui était en totale contradiction avec ce que j'avais toujours voulu faire de ma vie professionnelle. 

L'après...

Malheureusement, mon chemin après "Guignols" fut plus long et plus semé d’embûches que je ne l’avais imaginé, car les imitateurs ont la réputation d’être de piètres auteurs, puisqu'ils ont quasiment tous besoins de "petites mains" pour écrire leurs spectacles. Je n’ai pas échappé à ce cliché. Paradoxalement, ce parcours fut encore plus difficile pour moi que pour un autre, car mon passé d’imitateur au lieu de me servir m’a considérablement desservi. En effet, il fut très compliqué de faire comprendre à ceux qui me connaissaient que je n’étais pas "un ancien imitateur qui voulait devenir auteur", mais un auteur à part entière qui avait été, par hasard et momentanément, un imitateur !

Par ailleurs, s’il est très facile de faire la démonstration d'un talent d’imitation - il suffit d’ouvrir la bouche et cela ne prend que quelques secondes ! - j’ai du apprendre à mes dépends qu’il est beaucoup plus difficile de convaincre d'un talent d’auteur, car se faire lire est un vrai parcours du combattant. D'autant plus quand la personne que l'on sollicite pour cela est dès le départ dubitative sur l'intérêt qu'elle pourra trouver à la lecture qu'on lui demande.

Mais le temps a passé, tout va bien et je n'ai absolument aucun regret car je fais ce que je veux et ce que j'aime ! Il est certain que je n’ai pas encore rencontré le même succès médiatique que celui que m'a procurée l'incroyable médiatisation des Guignols, mais cela a finalement très peu d’importance. Un auteur n'a pas vocation à être sur le devant de la scène, à se faire valoir, à se montrer et cela me convient parfaitement ainsi. Si le public connait les noms des réalisateurs, des acteurs, il ne connait jamais ou rarement ceux des scénaristes. Par ailleurs, il me reste encore beaucoup de pistes à explorer, comme le théâtre, le roman ou l'essai, ce que je ne vais pas tarder à faire. Bref, bien que j'ai quitté un peu malgré moi ce que beaucoup considéraient comme la poule aux œufs d'or, toutes ces années ont été très riches d'événements heureux, mais aussi d’épreuves que je n’aurais jamais imaginés, tant sur le plan privé que professionnel. 

La preuve ! A Canal, j’étais encore célibataire et sans enfants. J’en ai aujourd’hui trois, bientôt quatre pour mon plus grand bonheur. Plutôt que d’être par monts et par vaux en tournée ou en gala, j’ai eu tout le temps de m’en occuper, de partager avec eux des moments inoubliables qui sont, à mes yeux, les plus importants de la vie. Si je devais mourir demain, je n'aurais pas ces regrets que peuvent avoir ceux qui se sont entièrement consacrés à leur carrière, qui n'ont pas vu le temps passé, ni leurs enfants grandir.

Tout cela n’empêche pourtant pas que, au-delà des déceptions ou des désillusions que j'ai pu y rencontrer, j’ai quand même "adoré" mes années Canal. Même si je me suis toujours considéré un peu en marge de ce qu'il s'y passait, j’ai eu le sentiment d'être témoin d'un événement sociétal majeur, d’assister à l’émergence d’une nouvelle forme d’humour et de liberté, de faire partie d’une aventure humaine et télévisuelle exceptionnelle, "hors-norme".

Toutes ces personnes que j’ai côtoyées au cours de ces années, Philippe, Antoine, Pierre, Alain, Bruno, Benoit, je les ai secrètement et timidement admirées et j’étais évidemment fier de me trouver aussi souvent près d’elles, même si comme je l’ai écrit ci-dessus, je n’ai jamais vraiment eu le sentiment d’être des leurs. Je ne leur en veux nullement. J’ai aussi expliqué pourquoi je pouvais en être en partie responsable de ce décalage qui a pu exister entre nous et qui a fait que nous n'avons jamais crée entre nous d'autres liens que ceux qui nous ont unis professionnellement pendant 7 ans. 

J’ai aussi longtemps souffert que Canal ait pu croire à une trahison de ma part, alors qu’au fond, ce qui est arrivé est arrivé beaucoup plus par hasard que par une volonté clairement exprimée de part et d'autre de nous séparer. 

Enfin et c'est surtout par là que j'ai dû pécher sans le savoir. Je n'avais absolument pas mesuré la réalité de l'inimitié qui existait entre Canal et TF1, ces deux mastodontes du PAF. Je ne l'ai vraiment comprise que bien plus tard, lorsque Bruno Gaccio est allé à la rencontre de Xavier Couture qui venait d'être nommé PDG de la chaîne pour lui signifier qu'il n'était vraiment pas le bienvenu. Ce jour-là, j'ai vraiment compris que mon départ pour TF1, même s'il s'était fait dans l'improvisation, avait dû fortement contrarié Canal.

Quoi qu'il en soit et comme on ne peut pas refaire l'histoire, je resterai donc ad vitam aeternam fier et heureux d'avoir vécu de l'intérieur cette aventure que je n’ai jamais retrouvée… nulle part ailleurs ! Fier d'avoir croisé la route de gens intelligents, créatifs, imaginatifs et rares. Toute la "magie" de Canal peut se résumer sur un exemple que vous avez sûrement tous en mémoire. 

Sur le plateau de NPA, Antoine fit venir un pétomane anglais pour la dernière d'une saison. J'étais sur le plateau à deux mètres de lui. Le type avait un costume vert à la Peter Pan ridicule et il était masqué. Il se coucha sur le dos, tandis qu'Antoine lui aspergeait les fesses de talc pour que l'on comprenne bien visuellement que des gaz s'échappaient naturellement et sans trucage de son anatomie. Tous les ingrédients étaient réunis pour que cette situation soit d'une vulgarité exemplaire, pour qu'elle soit horriblement dérangeante et pourtant, cela n'en a rien été... C'est même devenu mythique ! Imaginez la même séquence sur France 2 avec Patrick Sébastien ou sur TF1 avec Lagaffe. Impensable, n'est-ce pas ? 

Hé bien voilà, c'était peut-être ça "l'esprit Canal" dont chacun se demande s'il a jamais existé ! Peu importe comme on le nomme ! C'était juste le Canal de cette période, une transgression permanente qui savait se faire pardonner son irrévérence et ses outrances, grâce à l'intelligence de ses concepteurs d'émissions, de ses auteurs brillants, de son directeur des programmes qui savait leur faire confiance, grâce aux talents de ses animateurs, de ses réalisateurs et de la plupart de ses collaborateurs

Mais ne croyez pas que je laisse place à la nostalgie ! C'est un sentiment que je trouve dangereux parce qu'en ancrant l'esprit dans le passé, il altère souvent le présent et hypothèque les possibles du futur !

Alors que "Tomorrow is another day", n'est-ce pas ?

Bonne journée !









1 commentaire:

Marie-Eleonor a dit…

Un grand merci pour ce long post qui m'a appris énormément de choses sur votre carrière !